Jean-Guy Côté et sa passion (1949-2006)
Quel que soient les obstacles rencontrés dans la vie, la détermination et la passion aident à trouver l’énergie et les moyens de les contourner et souvent de les surmonter. Ce sont assurément ces deux traits qui ont façonné la vie de Jean-Guy Côté.
À Trois-Pistoles, il est impressionné par le fleuve avec sa grandiose allure de mer. Tout près, coule la petite rivière. Souvent il la côtoie, regarde couler l’eau et découvre des petits poissons qui éclaboussent la surface en gobant un insecte émergeant. Pour lui, c’est le début d’une fascination qui deviendra une passion sans borne.
Il fallait commencer quelque part!
Dans les petits magasins de sa ville natale, il entend les clients discuter de captures de gros poissons. Il écoute pour en savoir plus. Il y en a qui font allusion à des mouches pour capturer le saumon de la rivière Matane et aussi aux petits poissons de la petite rivière d’à côté, la Trois-Pistoles. Les gens disent que certains de ces poissons sont capturés à l’aide de mouches là aussi. Ces mouches l’intriguent beaucoup, il veut en savoir plus à leur sujet. Qu’imitent-elles, à quoi ressemblent-elles, comment sont-elles pêchées, comment sont-elles fabriquées? Voilà les premières questions que Jean-Guy se posait. Il lui fallait absolument trouver les réponses. Lorsqu’il demandait aux bons pêcheurs à la mouche, leurs réponses n’étaient jamais satisfaisantes pour le petit gars qu’il était. Il est probablement arrivé à la conclusion qu’il devrait apprendre par lui-même.
Quelques années ont passé et un bon jour, au restaurant avec une de ses soeurs, il a osé demander à un nommé Jean Michaud, pêcheur de saumon sur la Matane, de lui montrer ses mouches. C’était la première fois qu’il pouvait dévorer le contenu d’une boîte à mouches! Mal à l’aise devant un si grand pêcheur et de si belles mouches, Jean-Guy lui demanda : « Pouvez-vous me montrer comment faire? » Jean Michaud de répondre : « Tu viendras chez moi à Rivière-du-Loup demain si j’ai le temps. » Quelques jours plus tard, Jean-Guy se rendit chez Jean Michaud à bicyclette. De Trois-Pistoles à Rivière-du- Loup c’est loin et long comme trajet. Arrivé en retard, Monsieur Michaud lui fit comprendre qu’il n’était pas content. Jean-Guy avait 14 ans. Jean Michaud l’invita à l’étage dans l’antre du monteur de mouches. Émerveillé à la vue de tant de plumes, de poils et d’hameçons, Jean- Guy reçut sa première leçon. Il apprit le montage de petites mouches pour la truite comme la « Bivisible » car les mouches disponibles au magasin étaient trop grosses pour les petits poissons auxquels il avait accès. Il apprit aussi les secrèts du montage de la « Jean Spéciale », mouche pour le saumon.
Voilà comment Jean-Guy Côté fit ses premières découvertes dans le domaine de la pêche à la mouche mais surtout de l’apprentissage des éléments de base du montage des mouches pour la pêche.
Jean-Guy arrive en ville
À Trois-Pistoles, il s’adonnait à la pratique de la bicyclette et il était devenu très bon. Il aimait le sport et envisageait de devenir professeur d’éducation physique. Il opta pour des études au Cégep à Montréal.
La première chose qu’il a fait en arrivant en ville fut d’aller à la boutique de pêche à la mouche de John Cucco personnage dont il avait tant entendu parlé. Son rêve de voir tous ces matériaux de montage et ces articles de pêche se réaliser. John le prit sous son aile et le fignola en monteur commercial pouvant assembler des centaines de fois la même mouche. La spécialité de John Cucco était le montage de la « Muddler Minnow ». Cette habileté deviendra un trait particulier dans les créations éventuelles de Jean-Guy.
John utilisait du fil de montage qu’il commandait en format grosses bobines et qu’il embobinait sur des petites bobines qu’il pouvait installer sur ses porte-bobines. En plus d’étudier au Cégep et de monter des mouches pour le commerce de John Cucco, il embobine beaucoup de fils. Il est préférable que le fil soit ciré pour bien retenir les matériaux sur la mouche.Aux cours des années, Jean- Guy développe sa méthode maison d’enduire ses fils de la bonne quantité de cire.
La compagnie Produits UNI prend forme
Il est maintenant chez lui à Ste-Mélanie où il enseigne l’éducation physique à l’école primaire. Il monte encore des mouches mais son intérêt est porté vers le bobinage des fils de montage. Il trouve des fils de différents matériaux, de différentes couleurs et de diamètres variés.
Lors d’un voyage à Boston pour assister à un salon de pêche, il montre ses bobines à plusieurs monteurs américains. Ses produits ne sont pas encore connus et les ventes sont très mauvaises. Cependant, il rencontre des distributeurs japonais qui le convainquent d’utiliser des bobines noires. Pour les Japonais la couleur noire signifie qualité. À ce moment là, Jean-Guy utilisait des bobines de formats et de couleurs différents. Il fit concevoir un moule pour fabriquer des bobines noires.
En plus, il ajouta une étiquette circulaire et perforée à être collée au bout de chaque bobine. L’étiquette donnait des renseignements comme la couleur, la quantité embobinée, la grosseur du fil qu’il soit ciré ou non. Sur la bobine, la fente de retenue du fil était du côté opposé à l’étiquette de façon à être déposé dans le « UNI-Tray ». Ces innovations plurent beaucoup aux Japonais. À la suite de la production d’un nouveau « UNI-Tray » avec plus de capacité d’insertion de bobines, Jean-Guy propose alors aux monteurs le « UNI-Store Box ».
Comme il était était encore à parfaire son habileté à parler anglais, il m’a demandé de l’accompagner au Fly Tackle Dealer Show à Denver au Colorado en 1993. J’étais à ce moment-là sa voix anglaise lorsque les questions des gens étaient trop compliquées. Dans l’enceinte, il y avait toutes les entreprises associées à notre sport. Imaginez une salle grande comme 20 patinoires de hockey où, en plus, il y a quatre bassins de lancers pour des gens qui peuvent lancer toute la longueur de la soie!
C’est à Denver que j’ai réalisé l’ampleur de l’industrie de la pêche à la mouche sur la terre! C’est comme ça que les exportations de bobines de fils de montage et de produits embobinés ont commencé.
Aujourd’hui les produits UNI sont distribués dans près de 50 pays à travers le monde.
Jean-Guy Côté le pêcheur
En plus de la passion du travail, notre homme avait aussi la passion du montage de mouches et de la pêche! Pendant ses premières années comme monteur de mouches pour John Cucco, il lui arrivait de créer de nouvelles parures. Son esprit créateur lui permettait d’inventer de nouvelles mouches pour répondre à des situations spécifiques. La série des « Mud-Hopper » pour imiter les petites phryganes (caddis) a été ses premières créations. En changeant la couleur du corps et en adaptant la grosseur de la mouche, il pouvait imiter presque toutes les émergences de phryganes apparaissant le long des rives des lacs qu’il fréquentait.
Il fut un des premiers à utiliser les corps de mousse (foam) dans ses montages. Il a créé la série des « Foam Muddler » et la série des « Foam Bug ». En variant la couleur des matériaux et la grosseur de l’hameçon, il arrivait à répondre aux besoins de plusieurs pêcheurs.
Il faut vous dire qu’à un certain moment après avoir quitté son ami John Cucco et s’être installé à Ste-Mélanie, il mit sur pied sa première entreprise « Les mouches du Québec ». C’est à partir de cette entreprise qu’il vendait des mouches et autres produits pour le montage.
C’est alors que, grâce à son imagination de monteur et à son expérience de pêcheur, il inventa la « Branchu orange », la « Mud-Hornberg », la « Matonipi » et la « Presque Pas ». Ces mouches, il les utilisait pour la pêche de l’omble de fontaine des lacs du Québec. J’ai pêché avec Jean-Guy à maintes reprises dans ses lacs préférés. Il arrivait que nous pêchions au-dessus de hauts-fonds situés loin de la berge et d’entendre des pêcheurs dire : « As-tu vu les deux caves qui pêchent au milieu du lac! ». Dommage qu’ils n’aient pas connu les techniques de Jean-Guy car nous avions beaucoup de plaisir où nous étions. J’ai eu le privilège de monter un diaporama/conférence intitulé « La Mouchetée du Québec » avec Jean-Guy, de mettre en évidence sa conception, ses techniques de pêche et de présenter plusieurs conférences avec Jean-Guy en province et en Ontario.
C’est lors d’une présentation de ce même diaporama au Cold Creek Flyfishers de Belleville Ontario que nous avons rencontré Paul C. Marriner. Paul assistait à la journée d’ouverture du groupe pour la pêche de l’émergence Hendrickson et au souper, suivi de notre conférence. Paul et Jean-Guy sont devenus de très proches collaborateurs, ils ont pêché ensemble pendant près de vingt ans dans des endroits paradisiaques.
Paul est encore actif aujourd’hui et auteur de plus de cent reportages d’endroits visités pour la pêche. Plus souvent qu’autrement Jean- Guy était du voyage. Les deux tiraient avantage de leur présence respective lors de ces randonnées de pêche.
Jean-Guy a beaucoup aimé pêcher le saumon atlantique et maintes fois nous avons passé de mémorables journées à nous déplacer en canot sur la rivière Bonaventure. Marc Leblanc de Maria avait remis à Jean-Guy un prototype de mouche qu’il devait essayer. Je peux vous dire qu’elle a trompé la vigilance de plusieurs saumons. Cette mouche était la fameuse « PICASSE »!
Lors de sa dernière sortie de pêche au saumon, il accompagnait Serge Allard de Drummondville sur la Petite- Cascapédia. Jean-Guy était sans doute venu dire adieu à tous ses amis de la Gaspésie durant ces deux semaines de juillet 2005.
Les prouesses de Jean-Guy
Lors d’un salon ATOS à Drummondville, Jean-Guy a rencontré William Cushner réputé encadreur de mouches et d’oeuvres d’art. Ce monsieur avait été très impliqué dans l’opération du Fine Arts Museum de New-York. Cushner connaissait la réputation de Jean-Guy comme excellent monteur de mouches du style des Muddlers. Après discussion, il montait deux séries de vingt-quatre examplaires de Muddlers et Cushner faisait deux encadrements. Un pour Cushner et un pour la collection Atos. Celui de la collection Atos demeura chez Jean-Guy jusqu’à ce qu’il le dépose ainsi que toute sa collection personnelle au Musée de pêche à la mouche du Canada à Waterloo.
En 1994, il fit partie de l’équipe canadienne représentant le Canada en Norvège lors du Championnat mondial de pêche à la mouche. Il était accompagné entre autres de Paul C. Marriner, Brian Chan, Donald Thom et de John Huff. Lors de cette compétition, le Canada se classa huitième.
En 2000, son entreprise UNI reçut le KUDO pour la qualité de ses produits et de ses innovations dans le domaine des produits embobinés pour le montage de mouches lors du Fly Tackle Dealer Show de Denver au Colorado.
Lors du Forum de Granby en février 2006, Jean-Guy se servit de ses dernières réserves d’énergie pour être avec tous ses amis du monde de la pêche à la mouche. Le samedi soir au banquet il était assis avec Bill Langlais et Dial Arsenault. Jean-Guy regardait la nourriture dans l’assiette de Bill et lui disait « ça c’est bon! ». Jean-Guy pouvait difficilement manger car c’était trop douloureux pour lui.
En mai, plusieurs de ses amis lui ont rendu visite chez lui. Il était devenu méconnaissable et tout amaigri.
Il a quand même eu la force de recevoir à la maison une équipe de La Semaine verte de Radio-Canada pour l’enregistrement de deux segments d’une émission à paraître éventuellement à l’antenne de Radio-Canada. Le dernier segment de cette émission aura été tourné lors de la conférence de presse annonçant la création du Musée de la Pêche à la Mouche du Canada à Waterloo le 17 janvier dernier et lors de l’annonce du premier récipiendaire du Prix Jean-Guy Côté au souper bénéfice du Forum de Pêche à la Mouche Québec/Maritimes de Granby le 3 février dernier.
Le Prix JEAN-GUY CÔTÉ
Le montage de mouches pour la pêche a été le pivot de la vie de Jean-Guy. Suite à la demande du Comité organisateur du Forum de Granby, il accepta de prêter son nom à un prix remis annuellement à un Québécois ou à une Québécoise ayant démontré pendant plusieurs années des qualités indéniables d’excellence dans le domaine du montage de mouches.
Le récipiendaire devra avoir apporté une grande contribution soit à l’enseignement, soit à l’excellence de son montage, soit par ses écrits, soit par son habileté de création ou par sa très grande implication à vulgariser le montage de mouches à l’ensemble des monteurs. Le Forum de pêche à la mouche Québec/Maritimes a créé en 2007 le Temple de la renommée des monteurs de mouches québécois en partenariat avec le Musée de pêche à la mouche du Canada à Waterloo. Le récipiendaire y sera intronisé.
Jean-Guy a décidé de déposer toute sa collection personnelle d’artéfacts de pêche à la mouche au Musée de pêche à la mouche du Canada à Waterloo. Une partie de cette collection est maintenant en montre au Musée au bénéfice de tous les amateurs.
Plusieurs de ses amis lui ont fait plaisir en lui rendant visite jusqu’à la mi-juin. À la mi-juillet 2006 Jean-Guy décédait chez lui, à la maison, suite à un long combat contre le cancer. À sa demande, ses cendres ont été dispersées dans la rivière Bonaventure le 5 septembre en présence de plusieurs de ses amis.
Un grand Québécois nous a quittés pour des beaux lacs et de superbes rivières qu’il pêche maintenant à tous les jours! Au revoir Jean-Guy!
PAR CLAUDE H. BERNARD